Merci aux écoles qui ont pris le temps de nous envoyer des idées, aux nombreuses personnes qui nous content leurs anecdotes, qui nous prêtent des ouvrages, des films, qui nous envoient des messages. Si nous avons maintenant déterminé la trame de l’histoire, nous sommes encore à la recherche de détails pour la nourrir. Vous pouvez continuer à nous faire parvenir vos idées à contact@cie-lhommedebout.fr.
Voici un début de narration, nous essaierons de vous la livrer entièrement au cours des prochains jours. RDV à l’atelier du géant, cette semaine à Sanem (Luxembourg).
PIOT, LE ROI DES CHEMINÉES
Nous sommes le 30 septembre. Piot se dépêche de rentrer chez lui avant la tombée de la nuit. Il a sept ans, et depuis la rentrée il a le droit de parcourir seul le chemin qui sépare la maison de sa grand-mère, située sur la route d’Audun-Le-Tiche, de celle de ses parents qui habitent dans la cité ouvrière de Villerupt, la petite derrière la mairie. Après l’école, Piot se rend tous les soirs chez sa mamie Louise, en attendant que ses parents reviennent. Sa maman travaille au Luxembourg, et à la débauche il y a les bouchons. Son papa lui, est ouvrier sur des chantiers de construction, et il rentre avec la lune, comme dit sa mamie.
Piot adore aller chez sa mamie Louise après l’école. Elle lui prépare son goûter qu’il prend dans la verrière derrière la maison. Il le partage avec les petits oiseaux qui l’attendent dans la grande cage. Puis ensemble ils chantent, parce que par-dessus tout, Piot aime la musique. Avant, son papy venait pendant le goûter avec son accordéon, pour accompagner le chant des oiseaux.
Plus tard dans la journée, sa mamie et lui préparent un plat, que Piot aura en charge de ramener à ses parents pour le diner. Sa mamie Louise connait toutes les recettes de la région, mais comme le papy de Piot était italien, elle sait aussi faire les pâtes, toutes les pâtes, de toutes les formes, et à toutes les sauces. Celles que Piot préfèrent, ce sont les linguine à la Napolitaine, avec beaucoup de thon.
Chaque soir, Sa mamie dit à Piot de faire attention sur le retour, de bien marcher sur les trottoirs, de regarder des deux côtés s’il doit traverser la route, de ne pas s’écarter du chemin, toujours le même, celui que Piot faisait déjà l’année passée, une fois sur deux avec sa mamie, l’autre avec son papy. C’est lui, son papy, qui l’avait surnommé comme ça : Piot. Son vrai prénom est Angelo. Mais son grand-père l’avait toujours appelé mon Piot, et c’était resté.
D’accord mamie, lui répond Piot en l’embrassant, son cartable sur le dos, son plat de linguine sous le bras.
Piot marche toujours sur le trottoir du côté droit, cela lui évite d’avoir à traverser l’avenue principale où circulent beaucoup de voitures. Mais chaque soir, avant de tourner à l’angle du commissariat, Piot regarde de l’autre côté de la voie. Il y a là une ancienne horloge, accrochée discrètement sur un mur tout juste repeint. L’année passée, Piot avait demandé à son papy ce que c’était que cette grande montre sur le bâtiment. L’ancien mineur lui avait expliqué que l’horloge venait de l’usine, avant qu’elle ne soit détruite ; qu’elle avait rythmé la vie des ouvriers de l’aciérie, de leurs familles, et indirectement de presque toute la ville pendant des dizaines d’années. Après ça, chaque soir que son papy avait raccompagné Piot chez lui, il lui racontait l’histoire de l’usine, le travail du fer, les laminoirs, les hautes cheminées, les rails pour le train ; mais surtout il lui racontait les mines, qu’il connaissait mieux puisqu’il y avait travaillé toute sa vie. Il lui avait dit son voyage depuis l’Italie, son arrivée dans la neige qu’il n’avait jamais vue avant, les anecdotes rigolotes avec les copains, les accidents trop souvent, la rudesse du travail, sa rencontre avec sa mamie, les grandes fêtes sur la place, les moments plus difficiles, la guerre, les luttes sociales. Il lui avait tout raconté, jusqu’à la fermeture de l’usine, puis des mines.
Piot avait adoré toutes ces histoires, ils avaient souvent ri ensemble, un peu pleuré aussi. Alors chaque jour, en passant devant l’horloge, Piot s’arrête un instant et pense tendrement à son grand-père, à l’italien devenu français, au mineur, au musicien des jours de fête. Et il continue ainsi son chemin, un air d’accordéon dans la tête.
Ce soir-là, lorsqu’il tourne la tête vers l’horloge, Piot aperçoit un ballon de baudruche blanc, accroché par son fil à l’une des aiguilles de l’horloge … (à suivre).
photo : la naissance d’un géant … en chansons