Vendredi soir, Mo est arrivé en bateau dans le port de La Rochelle. Ce fut une aventure hors du temps. Après que le Notre Dame Des Flots ait accosté devant le Gabut, j’ai eu l’occasion de lire le texte ci-dessous. Merci à l’équipage du NDDF, à la Belle du Gabut et au CNAREP Sur Le Pont, d’avoir permis que ce moment existe. Mo continue son voyage. Il sera accueilli demain par la commune de Lagord. Vous pouvez venir le voir près de la Médiathèque.

 

 

On pouvait penser qu’il dormait. Il était allongé sur le ventre, les bras le long du corps. On pouvait penser qu’il allait se réveiller. Les vagues balayaient son visage. Il avait trois ans. Il est mort noyé le 2 septembre 2015 en tentant de fuir la guerre en Syrie. Il est mort et la photo de son corps étendu sur le sable a fait le tour de l’Europe. Je me suis promis de ne jamais oublié son nom c’est stupide. Je sais que c’est stupide. Alan Kurdi.

Ils sont nombreux à s’être noyés avant lui et depuis, ils sont nombreux des adultes, beaucoup d’enfants. Nous scrutons la Méditerranée. Emmêlés dans nos contradictions, nous observons ces personnes qui tentent de traverser la Mer, nous regardons par-là, inquiets, parce qu’après la Méditerranée c’est l’Europe, après c’est chez nous. Mais avant la Méditerranée, eux ont survécu à d’autres souffrances, à d’autres dangers, beaucoup ne parviennent pas jusqu’à la Méditerranée. Nous ne parlons pas d’eux.

Dans le monde, près de 50 millions d’enfants sont déracinés. Ils fuient les guerres, la violence, la famine, les discriminations, les persécutions, 50 millions d’enfants, ils fuient la mort. 300.000 marchent sans leurs familles. Mo est l’un d’entre eux.

On ne peut pas accueillir toute la misère du monde. C’est vrai. Mais on peut y prendre part avec conviction, avec générosité et dignité. On peut le faire vraiment, on pourrait même se rassembler pour cela, pour le faire ensemble, pour s’embellir de cela. Ce pourrait être un dessein de société, un piège tendu aux sombres extrémismes. Contre la haine de l’autre, accueillons, chantons, scandons, hurlons notre désir de fraternité, faisons vibrer d’humanisme le sentiment national. Surtout, n’abimons pas les grandes idées sur lesquelles sont construites nos civilisations, ne cédons pas à la peur que certains tentent d’ériger en murs de séparation. La peur est naturelle, elle fait partie de l’aventure.

Que risque-t-on ? Nos sociétés ultra développées sont malades, malades du repli sur soi, malades du consumérisme désincarné. Ce n’est pas de pouvoir d’achat dont nous manquons collectivement, c’est d’humanité. Il y a des lois en France pour tendre vers plus de liberté, vers plus d’égalité, mais la fraternité, c’est à nous chaque jour, de la faire exister.

Je ne suis pas naïf, je sais les difficultés, et je n’ai aucune leçon à donner. Pourrions-nous collectivement reconnaître cette injustice, et collectivement choisir de la combattre ?

Mo vivait dans un pays en guerre. Ce jour-là c’était son anniversaire. Il n’a pas eu le temps d’ouvrir le cadeau qu’on venait de lui offrir. Une bombe a explosé. Les cris, la panique, des gens l’ont emmené, la fuite, la mer. Le bateau a chaviré. Mo lui, a survécu, il a été repêché. Il est seul et une autre aventure commence. Le soir, Mo a souvent du mal à s’endormir, alors il se souvient de la voix de sa maman, il se souvient de la chanson qu’elle lui fredonnait.

Benoît Mousserion

 

 

 

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